Interview avec Albert Anderegg

3. octobre 2017

À plus de 70 ans, Albert Anderegg continue de tenir tête à de nombreux coureurs ambitionnés. Originaire de l'Oberland bernois, il est multiple champion d’Europe et du monde des seniors sur piste, en cross et sur route et il ne songe pas à s’arrêter de sitôt.

Quelle sont d’après toi les clés pour réussir à, comme toi, courir sans douleurs à ce niveau pendant de si nombreuses années?

Ma polyvalence constitue sans doute l’une de ces clés. Je pense par exemple à l'amplitude de mes entraînements qui va de très lent à très intense; à celle de mes courses qui va de tout plat (sur piste ) à très raide (courses en montagne) et des distances que je parcours et qui va de court à très long (de 1 500 m au marathon). La polyvalence dans les disciplines sportives, pour moi cela veut dire pratiquer aussi le VTT, le ski de fond, la randonnée en raquettes etc. 

Une alimentation très variée, mais non restrictive ou spéciale comprenant un verre de vin quotidien fait aussi partie de ma polyvalence.

Et mon expérience en tant qu’athlète junior, qui date certes d’il y a quelques années, joue également un rôle important. Comme j’ai l’ai appris à l’époque et à l’inverse d’un (trop) grand nombre de mes collègues, je pratique de manière très systématique la mise en jambe et le retour au calme.

J’ai également appris à écouter mon corps, mais je n’irai pas jusqu’à dire «sans douleurs». Dans la pratique d’un sport, si on cherche à connaître ses limites, on se trouve forcément confronté à ce point. J’attache beaucoup d’importance à reconnaître précocement les symptômes de surentraînement afin de rapidement repasser du bon côté de la limite en réduisant l’intensité et le volume.        

Dans quels domaines ressens-tu, toi aussi, les effets de l’âge? À quels ajustements as-tu dû avoir recours?

Par rapport à mes concurrents, j’ai toujours participé à relativement peu de compétitions. Au cours de ces dernières années, l’envie de participer à des compétitions a encore diminué davantage. 

Par ailleurs, j’ai légèrement réduit le volume au fil du temps. Cette année, j’ai par exemple constaté que j’obtenais des effets plus durables en faisant des entraînements fractionnés de deux séries au lieu de trois. Cela m’a permis d’adopter une allure plus rapide lors des courses et de progresser série après série. 

Il y a encore quelques années, lors des compétitions, j’étais en mesure de flirter avec ma limite, voire de la dépasser dès le départ et d’attaquer pendant toute la course. Aujourd'hui, il vaut mieux que je me lance plutôt doucement, en conservant une réserve qui me permettra d’augmenter le rythme durant la compétition. 

 

Peux-tu nous expliquer quels principes tu suis lors de ton entraînement et nous donner un exemple de ton entraînement hebdomadaire?

D’octobre à février, je me consacre à un entraînement de base en faisant de longues sorties à VTT, de longues séances de course à pied, des randonnées en snowboard, etc. Mais pour moi, il ne s’agit pas d’un entraînement, c’est du plaisir à l'état pur. Mon esprit profite au moins autant que mon corps de cette étape!

Au printemps, il me suffit alors tout juste de quelques bonnes semaines d’entraînement, comme décrit ci-dessous, pour regagner ma forme.

Exemple d’entraînement hebdomadaire:

Lundi
Entraînement fractionné très intense: 3 séries à 125m+250m+500m+1000m+500m+250m+125m avec à chaque fois 1 min de pause entre les blocs et 3 min de pause entre les séries (à défaut de piste, sur une route secondaire délimitée, asphaltée et peu fréquentée).
Mardi
1 heure de course d’endurance très lente sur des sentiers de montagne. 
Mercredi
1 heure de course d’endurance moyenne ou sortie à VTT avec 800 mètres de dénivelé ou pause.
Jeudi
1 heure de course d’endurance moyenne sur chemins naturels, sous forme de fartlek tranquille.
Vendredi
Course de montagne intense, env. 30 min/600 mètres de dénivelé sur des sentiers de montagne, retour tranquille.
Samedi
1 heure de course d’endurance très lente sur des sentiers naturels. 
Dimanche
Course d’endurance moyenne sur terrain vallonné. 

Tu es fort d’une longue carrière et tu n’as par exemple manqué aucune des 36 éditions du Grand Prix de Berne! Qu'est-ce qui a changé chez toi ces dernières années? 

Représentés sur un graphique, mes 36 résultats de 1982 à 2017 sont très intéressants à observer, si on ignore les extrêmes (fracture de la clavicule etc.): depuis mon départ à la retraite, la courbe se décale de trois minutes vers le bas d’un Grand Prix à l’autre. Durant les 6 éditions de 1996 à 2001, mon temps est passé successivement de 56.37 à 59.39 minutes. Après mon départ à la retraite, il est repassé à 56.21 minutes (2003) pour augmenter à nouveau continuellement durant les neuf éditions suivantes et atteindre 60.30 minutes (2012). À mes yeux, le décalage de trois minutes est avant tout dû aux conditions de récupération très différentes dont j’ai bénéficié en tant que retraité. 

Il en résulte que sous certaines conditions (temps disponible), il est plus bénéfique d’investir du temps dans la récupération que dans l’entraînement.                               

As-tu un secret que tu pourrais nous dévoiler? Un entraînement clé ou un conseil en matière de nutrition ou d’ordre technique, par exemple?

Même si, en entraînement comme en compétition, j’ai tout pratiqué depuis le 1500m jusqu’au marathon, je me suis surtout concentré sur les courses plutôt courtes d’environ 10 km. J’ai toujours accordé beaucoup d’importance à ma vitesse de base et les entraînements fractionnés très durs me procurent autant de plaisir qu’une sortie longue de trois heures sur le sentier panoramique de Goms. 

D’un autre côté, je participe à relativement peu de compétitions. Mais quand je me lance, je suis concentré à fond, parfaitement préparé et extrêmement motivé. Ainsi, je fixe mes priorités non seulement pour l’entraînement, mais aussi dans le choix de mes compétitions.

 

 

Foto: ZVG